Publié le 26 avril 2024

En résumé :

  • La prévention active, comme l’apprentissage des chutes contrôlées (Ukemi), est plus efficace que la simple adaptation du domicile.
  • Renforcer sa densité osseuse via l’alimentation (fromages suisses riches en calcium) et l’activité physique est fondamental.
  • Le lien social et la pratique en groupe sont des moteurs puissants pour maintenir la motivation et la régularité.
  • L’entretien de l’équipement personnel et domestique constitue un filet de sécurité essentiel.
  • Adapter la durée et le type d’exercice à son âge permet une progression sûre et efficace.

La crainte de la chute est une ombre qui plane sur le quotidien de nombreux seniors et de leurs proches. Elle restreint les mouvements, confine au domicile et grignote la confiance en soi. Face à ce risque bien réel, les conseils habituels fusent : enlevez les tapis, améliorez l’éclairage, installez des barres d’appui. Ces mesures passives, bien qu’utiles, ne s’attaquent qu’à l’environnement de la personne, et non à sa capacité à faire face à l’imprévu. Elles installent une logique de peur et d’évitement, transformant le domicile en une forteresse aseptisée mais ne préparant en rien au monde extérieur.

Mais si la véritable clé n’était pas d’éviter à tout prix de tomber, mais plutôt d’apprendre à tomber sans se blesser ? Cette approche contre-intuitive, inspirée des arts martiaux, propose un changement radical de paradigme. Il ne s’agit plus de subir la chute, mais de la maîtriser. En se réappropriant son corps, en développant une nouvelle conscience de ses mouvements et en renforçant ses structures internes, il est possible de transformer la peur en une confiance corporelle active. C’est une démarche proactive qui redonne le contrôle et l’autonomie.

Cet article explore cette vision globale de la prévention des chutes en Suisse. Nous verrons comment l’apprentissage de techniques comme l’Ukemi, combiné à un renforcement osseux ciblé, au maintien du lien social et à une adaptation intelligente de l’effort, constitue la stratégie la plus complète et la plus durable pour vivre pleinement, en toute sécurité.

Pour vous guider à travers cette approche complète, cet article est structuré en plusieurs étapes clés. Chacune aborde un pilier fondamental de la prévention active, des compétences physiques aux aspects nutritionnels et sociaux, le tout contextualisé pour la Suisse.

Apprendre le Ukemi

L’Ukemi, terme japonais issu des arts martiaux comme le judo et l’aïkido, signifie littéralement « recevoir avec le corps ». Il s’agit de l’art de chuter de manière contrôlée pour dissiper l’énergie de l’impact et protéger les zones vitales comme la tête, les hanches et les poignets. Plutôt que de subir une chute de manière rigide et passive, l’Ukemi enseigne à rouler, à amortir et à transformer la chute en un mouvement fluide. C’est la compétence fondamentale qui permet de passer d’une posture de victime potentielle à celle d’un acteur de sa propre sécurité. En Suisse, où une personne sur trois de plus de 65 ans chute chaque année, cette approche proactive prend tout son sens.

L’apprentissage de l’Ukemi va bien au-delà de la simple technique. Il développe une conscience corporelle (proprioception) accrue, améliore les réflexes et, surtout, construit une confiance physique solide. La peur de tomber est souvent un facteur aggravant qui paralyse et raidit le corps, augmentant le risque de blessure. En pratiquant des chutes dans un environnement sécurisé comme un dojo, cette peur diminue progressivement. Des clubs suisses, à l’image du Judo Club de Genève fondé en 1947, proposent d’ailleurs des cours spécifiquement adaptés pour rendre ces techniques accessibles à tous les âges, avec un enseignement progressif qui respecte les capacités de chacun. L’objectif n’est pas de former des compétiteurs, mais de donner des outils concrets pour le quotidien.

Renforcer la densité osseuse

Apprendre à bien chuter est une compétence cruciale, mais la solidité de « l’armure » qui reçoit le choc l’est tout autant. Une bonne densité osseuse est le deuxième pilier d’une prévention efficace. Des os solides et denses sont plus à même de résister à un impact sans se fracturer. Cette fortification interne se construit sur deux fronts : l’activité physique et une alimentation ciblée, riche en calcium et en vitamine D. L’un ne va pas sans l’autre : l’exercice stimule le renouvellement osseux, tandis que le calcium fournit les matériaux de construction.

L’activité physique en charge, comme la marche, la randonnée ou la marche nordique, est particulièrement bénéfique. Elle crée des micro-contraintes sur le squelette qui l’incitent à se renforcer. En Suisse, avec ses innombrables sentiers, la pratique de la marche nordique est une option idéale, alliant travail cardiovasculaire, renforcement musculaire et stimulation osseuse, tout en étant douce pour les articulations.

Groupe de seniors pratiquant la marche nordique sur un sentier alpin

Côté alimentation, la Suisse dispose d’un atout de taille : ses fromages à pâte dure. Ils sont une source exceptionnelle de calcium hautement biodisponible. Un morceau de Gruyère ou d’Emmental peut couvrir une part significative des besoins journaliers. Intégrer ces produits du terroir dans son alimentation est une manière simple et gourmande de veiller à la santé de son squelette.

Le tableau suivant, basé sur les données de Swissmilk, met en lumière la richesse en calcium de quelques trésors nationaux.

Teneur en calcium de fromages suisses emblématiques
Type de fromage Calcium (mg/100g) Recommandation
Gruyère 1000-1200 Excellent choix
Emmental 1185 Excellent choix
Fromage d’alpage 900-1100 Très bon choix
Appenzeller 800-900 Bon choix

Entretenir le lien social

La prévention des chutes n’est pas seulement une affaire de physique et de nutrition ; la dimension psychologique et sociale est tout aussi fondamentale. L’isolement est un facteur de risque majeur. Une personne seule a tendance à moins bouger, à perdre en masse musculaire et en confiance, et en cas de chute, les secours peuvent tarder à arriver. Chaque année, ce sont près de 90’000 personnes de plus de 64 ans qui se blessent en chutant en Suisse, et la solitude peut aggraver les conséquences de ces accidents.

Rompre cet isolement est donc une action préventive en soi. Participer à des activités de groupe stimule non seulement le corps mais aussi l’esprit. Cela crée un cercle vertueux : le plaisir de retrouver des amis motive à sortir, la sortie implique une activité physique, et l’activité physique améliore l’équilibre et la force. Les cours collectifs d’exercices d’équilibre, de tai-chi, de danse ou de gymnastique douce sont des occasions parfaites pour combiner entraînement et convivialité.

Étude de Cas : La campagne « L’équilibre en marche »

Menée conjointement par le Bureau de prévention des accidents (BPA), Pro Senectute et Promotion Santé Suisse, la campagne « L’équilibre en marche » est un exemple parfait de cette synergie. Elle mobilise les seniors à travers toute la Suisse en proposant plus de 500 cours collectifs dans diverses disciplines. L’objectif est double : offrir un entraînement physique spécifique pour la prévention des chutes et, surtout, favoriser les liens sociaux. Avec des manifestations organisées dans de nombreux cantons, cette initiative montre que la lutte contre la sédentarité et l’isolement est une priorité de santé publique.

S’inscrire à un cours, c’est aussi bénéficier de l’encadrement d’un professionnel qui peut corriger les postures et adapter les exercices, tout en profitant de l’émulation du groupe. La régularité est la clé du succès, et le lien social en est le meilleur carburant.

Entretenir l’équipement

Si l’approche active est primordiale, elle doit être soutenue par un environnement et un équipement sécurisés. Il s’agit de créer un filet de sécurité qui pardonne les moments d’inattention et réduit les risques au quotidien. Cela concerne aussi bien l’équipement personnel, comme les chaussures et les aides à la marche, que l’aménagement du domicile. Selon les statistiques du Bureau de prévention des accidents (BPA), une part significative des chutes a lieu à la maison, un lieu que l’on pense pourtant sûr. L’entretien régulier de son équipement est donc un geste de prévention simple mais essentiel.

Les chaussures, par exemple, sont le premier point de contact avec le sol. Des semelles usées et lisses perdent toute leur adhérence, transformant un sol humide en patinoire. De même, les embouts en caoutchouc d’une canne ou les freins d’un déambulateur doivent être inspectés fréquemment. Ces détails peuvent faire toute la différence. À l’intérieur, les fameux tapis sont des pièges notoires, mais ils peuvent être sécurisés avec des sous-tapis antidérapants. La salle de bain, zone à haut risque, peut être équipée de barres d’appui et de bandes antidérapantes dans la douche ou la baignoire. Un bon éclairage, notamment sur les chemins et dans les escaliers, est également indispensable pour éviter les mauvaises surprises.

Votre checklist pour un domicile plus sûr

  1. Vérifier l’usure des semelles de vos chaussures principales et les remplacer si elles sont devenues lisses.
  2. Contrôler l’état des embouts en caoutchouc de vos cannes, béquilles ou déambulateurs et les changer si nécessaire.
  3. Tester régulièrement l’efficacité des freins de votre déambulateur avant toute utilisation.
  4. S’assurer que les bandes antidérapantes dans la douche ou la baignoire sont bien fixées et non décollées.
  5. Fixer solidement tous les tapis avec des nattes ou des rubans adhésifs antidérapants.
  6. Faire le tour des pièces pour vérifier que l’éclairage est suffisant partout, et remplacer immédiatement les ampoules défaillantes.

Cet entretien ne doit pas être vu comme une contrainte, mais comme une routine de bon sens, au même titre que l’on vérifie les pneus de sa voiture. C’est la garantie que notre environnement nous soutient dans notre quête d’autonomie et d’activité.

Nouer sa ceinture

L’image de « nouer sa ceinture » dans les arts martiaux est une puissante métaphore du parcours de prévention des chutes. Elle ne symbolise pas une fin, mais une étape dans un processus continu d’apprentissage et de maîtrise. Chaque grade, chaque ceinture, représente un niveau de compétence et de confiance acquis. De la même manière, la prévention des chutes n’est pas une action unique, mais un cheminement. On commence par les bases – comprendre les risques, adapter son domicile – puis on progresse vers des compétences plus avancées : le renforcement musculaire, l’amélioration de l’équilibre et, ultimement, la maîtrise de l’Ukemi.

Cette approche progressive est essentielle pour construire une confiance durable. Elle permet à chacun d’avancer à son propre rythme, sans se sentir dépassé. Le Reighikan Dojo de Lausanne, par exemple, applique cette philosophie en enseignant aux seniors. Les pratiquants commencent par des chutes de base avant de progresser, créant un parcours structuré qui renforce l’autonomie et les fonctions cognitives. Cette progression est la clé pour transformer l’appréhension en assurance. Comme le dit une figure respectée du monde des arts martiaux :

Ukemi est bénéfique si vous le pratiquez selon votre âge, vos capacités et vos objectifs, car l’Aïkido est un budo pour tous les âges.

– Ryuji Shirakawa, Interview Aikido Journal

Nouer sa ceinture, c’est donc accepter que la prévention est un engagement personnel et évolutif. C’est reconnaître les progrès accomplis et se fixer de nouveaux objectifs pour continuer à améliorer sa résilience physique et mentale. C’est l’incarnation de la philosophie proactive : prendre en main sa sécurité, étape par étape, pour préserver sa liberté de mouvement le plus longtemps possible.

Prévenir l’ostéoporose

Si le renforcement de la densité osseuse est une stratégie générale, la prévention ciblée de l’ostéoporose est un chapitre essentiel, en particulier pour les femmes après la ménopause. L’ostéoporose est une maladie silencieuse qui fragilise les os de l’intérieur, les rendant poreux et cassants comme du verre. Une chute qui serait anodine sur un squelette sain peut alors entraîner une fracture grave, notamment de la hanche ou du poignet. La prévention de cette maladie est donc indissociable d’une stratégie globale contre les chutes.

La première ligne de défense repose sur des apports suffisants en calcium et en vitamine D. La vitamine D est indispensable car elle agit comme une clé, permettant au calcium d’être absorbé par l’organisme et de se fixer sur les os. En Suisse, la Ligue suisse contre le rhumatisme recommande un apport de 1000 mg de calcium et 800 UI de vitamine D par jour pour les seniors. Si l’alimentation peut couvrir les besoins en calcium, l’exposition au soleil, principale source de vitamine D, est souvent insuffisante sous nos latitudes, surtout en hiver. Une supplémentation est donc fréquemment recommandée par les médecins.

Examen médical de densité osseuse avec patient senior et professionnel de santé

Le dépistage est une autre étape clé. Un examen appelé ostéodensitométrie permet de mesurer la densité minérale osseuse et d’évaluer le risque de fracture. Cet examen indolore est souvent conseillé aux personnes présentant des facteurs de risque (antécédents familiaux, ménopause précoce, faible poids). En fonction des résultats, un traitement médicamenteux peut être prescrit pour ralentir la perte osseuse ou même stimuler la formation de nouvel os. Des programmes de gymnastique spécifiques, comme ceux proposés par la Ligue contre le rhumatisme, sont également conçus pour stimuler l’ossature sans la mettre en danger.

Prévenir les chutes chez l’adulte

La prévention des chutes est souvent associée au grand âge, mais c’est une erreur de perspective. Les bonnes habitudes et les réflexes de sécurité se construisent bien avant. La perte de masse musculaire (sarcopénie) et la diminution de la densité osseuse commencent de manière invisible dès la quarantaine ou la cinquantaine. Agir tôt, c’est investir dans son « capital autonomie » pour les décennies à venir. Prévenir les chutes chez l’adulte actif, c’est s’assurer que les fondations restent solides lorsque les défis de l’âge se présenteront.

Pour un adulte de 50 ou 60 ans, la prévention passe avant tout par le maintien d’une activité physique régulière et variée. Il est crucial d’intégrer des exercices qui travaillent spécifiquement l’équilibre et la force des jambes : le tai-chi, le yoga, le Pilates ou simplement se tenir sur une jambe en se brossant les dents. Ces gestes simples, répétés au quotidien, entretiennent la proprioception, cette capacité du cerveau à savoir où se trouve le corps dans l’espace. Il est également important de faire vérifier sa vue et son audition régulièrement, car ces deux sens sont des informateurs clés pour notre équilibre.

Cette démarche précoce est d’autant plus importante que les conséquences d’une chute peuvent être dramatiques. Selon les données du BPA, 95% des 1700 chutes mortelles annuelles en Suisse touchent les personnes de 65 ans et plus. Ce chiffre alarmant souligne que la fragilité qui mène à ces issues fatales s’est construite au fil des années précédentes. Prendre conscience de certains réflexes simples dès l’âge adulte peut changer la donne : se lever lentement d’une chaise pour éviter les vertiges liés à une baisse de tension, porter des chaussures offrant un bon maintien, ou encore modérer sa consommation d’alcool qui altère l’équilibre et le jugement.

À retenir

  • L’approche active (apprendre à chuter, renforcer son corps) est plus valorisante et efficace que la prévention passive (éviter les risques).
  • La solidité osseuse est une assurance vie contre les fractures. Elle se cultive par l’alimentation (calcium) et l’activité physique.
  • La prévention est un marathon, pas un sprint. La régularité et la progression adaptée à son âge sont les clés du succès à long terme.

Adapter la durée à l’âge

L’enthousiasme à vouloir bien faire ne doit pas faire oublier une règle d’or : l’exercice, pour être bénéfique et sécuritaire, doit être parfaitement adapté à l’âge, à la condition physique et aux objectifs de chacun. Vouloir en faire trop, trop vite, est le meilleur moyen de se décourager ou de se blesser. La clé du succès réside dans une progression réfléchie, en augmentant l’intensité et la durée de manière graduelle. Le principe n’est pas de viser une performance, mais d’intégrer le mouvement dans le quotidien de façon durable.

Les recommandations varient logiquement avec les décennies. Un adulte de 55 ans n’aura pas les mêmes besoins ni les mêmes capacités qu’une personne de 85 ans. Il est donc essentiel de personnaliser son programme. Le tableau ci-dessous, inspiré des recommandations de spécialistes comme Physioswiss, offre un cadre général pour structurer son activité.

Pour illustrer concrètement comment adapter l’exercice, voici un tableau de recommandations générales.

Recommandations d’exercices par tranche d’âge
Tranche d’âge Durée recommandée Fréquence Type d’exercices
55-64 ans 30-45 minutes 3x/semaine Équilibre + Force
65-74 ans 30 minutes 3x/semaine minimum Équilibre + Force modérée
75-84 ans 20-30 minutes 3-4x/semaine Équilibre + Mobilité
85+ ans 15-20 minutes Quotidien si possible Micro-sessions adaptées

Le concept de « micro-sessions » est particulièrement intéressant pour les plus âgés. Des programmes comme le programme LIFE (Lifestyle Integrated Functional Exercise) ont montré qu’intégrer de très courtes sessions d’exercices (2-3 minutes) plusieurs fois par jour, basées sur les activités quotidiennes (se lever d’une chaise sans les mains, monter sur la pointe des pieds en attendant que l’eau chauffe), peut réduire significativement le taux de chutes. C’est la preuve que chaque mouvement compte. L’important est de bouger, de manière intelligente et régulière.

L’étape suivante consiste à discuter avec votre médecin ou un physiothérapeute pour définir un programme d’exercices personnalisé et commencer dès aujourd’hui à investir dans votre autonomie future.

Rédigé par Marc Rochat, Physiothérapeute du sport diplômé HES et ostéopathe D.O. avec 15 ans d'expérience clinique en Suisse romande. Expert reconnu par Physioswiss, il collabore avec les assurances (LCA/LAMal) pour optimiser la prise en charge des athlètes amateurs et élites.